Programme Ricercar
Historique

L’idée

En juillet 1991 se tint au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance le XXXIVe colloque international d’études humanistes, consacré cette année-là au Concert des voix et des instruments à la Renaissance. Pendant une dizaine de jours, une trentaine de conférenciers se succédèrent à la tribune pour informer la communauté musicologique de leurs recherches les plus récentes sur un domaine qui fait autant appel à l’étude des sources, à l’analyse musicale, à l’esthétique, à l’histoire de l’interprétation, à l’histoire des pratiques sociales qu’aux représentations iconographiques. L’idée était ambitieuse. Car il s’agissait en quelque sorte de faire le point sur les études musicologiques concernant les XVe et XVIe siècles. Si chaque participant a pu lever le voile sur un domaine particulier, le tableau d’ensemble mit au premier plan une carence évidente : l’accès aux données reste difficile, voire même insurmontable à un chercheur isolé. Jean-Michel Vaccaro qui avait organisé ce colloque avec la collaboration de Jean-Pierre Ouvrard décida de ne pas rester sur ce constat et d’entreprendre un programme de recherche musicologique qui pourra faciliter l’accès à ces informations essentielles, éparses ou inédites. C’est ainsi que naquit le programme « Ricercar » au sein du CESR grâce au soutien efficace du Ministère de la Culture et du Centre National de la Recherche Scientifique. Nous étions à l’automne 1991. Il n’entrait pas dans les intentions de Jean-Michel Vaccaro de remplacer les outils existants. Car il y avait depuis quelques décennies de vastes entreprises de dépouillement et de classement. Mais l’objectif de ces entreprises passées répondait avant toute chose à une volonté de quantification et de localisation. Il s’était agi, prioritairement, par exemple pour les équipes du RISM, de dresser un état des lieux des principales collections dans le monde. Il ne s’était jamais agi de fournir des informations dont l’exploitation directe eût pu permettre une lecture renouvelée des productions musicales des XVe et XVIe siècles. Si certaines entreprises tel le CENSUS avaient pu marquer un certain progrès par rapport aux dépouillements du RISM, les mêmes difficultés revenaient inlassablement. Comment se faire une idée précise des sources sur lesquelles la musicologie souhaite travailler ? Comment dépasser le stade de la description bibliographique ou codicologique pour donner des informations précises, étayées, sur l’objet de l’enquête ?
Le programme « Ricercar » a donc d’abord été conçu comme un projet de description des sources. C’est ainsi qu’il a été présenté au Ministère de la Culture qui a donc décidé de lui accorder son soutien financier.

La définition des champs

En octobre 1992, ce projet que Jean-Michel Vaccaro avait dessiné avec la collaboration de quelques collègues (Jean-Pierre Ouvrard, Howard Mayer Brown, David Fallows), il convenait d’en assurer les contours. Car il n’entrait pas dans les ambitions du programme « Ricercar » de couvrir tous les champs de la musicologie de la Renaissance. Tant les ressources humaines que les disponibilités financières l’interdisaient. Il fut donc convenu de préciser quelques champs de recherche qui correspondaient à la fois à la tradition de recherche développée au CESR et aux intérêts des collaborateurs qui avaient manifesté le souhait d’être intégré au programme « Ricercar ». Il fut décidé que chaque chantier devait faire l’objet d’une base de données. Encore fallait-il que ces bases ne répétassent pas les lacunes des entreprises précédentes ou ne fissent double emploi avec d’autres programmes de recherche. Les améliorations et simplifications des systèmes informatiques laissaient présager d’un avenir réalisable à ces quelques bases. Toutefois, il fut, au départ, proposé de distinguer ce qui relevait de l’ordre du réalisable et ce qui relevait (et relève encore) de l’ordre du souhait, voire du rêve. Effectivement, si les programmes de saisie de données musicales avaient connu de retentissants développements durant les années 1980, leur exploitation sur le principe de bases de données traditionnelles n’avait pas encore fait l’objet de recherches poussées de la part des ingénieurs. La numérisation des images, par ailleurs, supposait alors de posséder des machines bien trop volumineuses et onéreuses pour le modeste programme « Ricercar ».

De plus, ni le CESR, ni le programme ne disposaient de moyens suffisants pour acquérir une copie de toutes les sources musicales des XVe et XVIe siècles. Équiper les chercheurs d’ordinateurs portables parut être une nécessité, et fut en même temps ma démonstration flagrante que le travail ne pourrait être exécuté en une phase unique, car il était impossible et de fournir des ordinateurs à tous et d’installer le cas échéant les programmes nécessaires, a fortiori s’ils n’existaient pas encore. Il fallut donc recourir à la bonne vieille tradition du papier pré-imprimé. Cela eut plusieurs conséquences pour le déroulement des dépouillements. Tout d’abord, imaginer un pré-imprimé à la fois simple et précis pour chaque chantier. Certains prirent de longs mois de conception. D’autres furent modifiés en cours de travail. Ensuite, cela signifiait la nécessité d’intégrer, après dépouillement sur pré-imprimé, les données dans les bases conçues alors uniquement pour les informations textuelles sur File Maker.
Rien de tout cela ne parvint à refréner l’optimisme du programme. Il ne fut pourtant pas toujours facile de trouver, contre rémunération (sous forme de vacations) des chercheurs disposés à noircir des heures durant des pré-imprimés. Carence des bras et rareté des têtes aussi. Car la Renaissance n’est guère plus que le Moyen Âge une période particulièrement prisée. D’une façon étonnament brutale, c’est à cet égard que se ressentit le plus ouvertement le déplacement d’intérêt qui a affecté la musicologie depuis la fin des années 1970 jusque récemment. L’ordinateur n’a toujours pas remplacé l’œil et le processeur ne se substitue pas à la capacité de réflexion. Bon an mal an pendant plus de quatre ans, les pré-imprimés se sont accumulés. Par la bonne volonté de certains d’une part, par la nature des champs investigués d’autre part, toutes les données textuelles ont fini par figurer sur un disque dur. Des quinze mille feuilles volantes, il ne reste qu’un disque… Sources et exploitation
Tandis que s’amoncelaient les pré-imprimés, d’autres tâches vinrent s’ajouter au programme « Ricercar ». L’édition des actes du congrès de 1991 confrontait le programme à la difficulté du travail éditorial, en même temps qu’elle montrait à quel point l’aridité des dépouillements pouvait s’enrichir de la suavité de la mise en page, des relectures et des discussions. Le CESR fut alors chargé par le CNRS de réaliser les éditions du « Corpus des luthistes français ». En même temps que ce travail permettait de perfectionner l’exploitation d’un programme de gravure musicale, il démontrait aussi la difficulté d’imaginer une interface capable de « traduire » la tablature instrumentale en notation vocale, suggérant ainsi que l’ambition de créer une base de données du plus grand nombre de sources musicales de la Renaissance prenait les allures d’un mirage. À la collaboration avec le CNRS dans le cadre du « Corpus des luthistes français » s’ajoutèrent une première et une deuxième collection d’éditions musicales et de travaux musicologiques. La première — « Collection Ricercar » (Paris, Champion) — allait être inaugurée par un catalogue, sorte d’avant-coureur d’un des vastes projets de dépouillement. Ici aussi, il apparut clairement que le traitement automatique des données était encore irréalisable. Et s’il ne s’agissait plus de tablatures, c’était à la notation vocale du XVIe siècle que l’on était confronté. Mêmes désillusions face à la machine ou à l’incapacité des ingénieurs sollicités ou à l’incompatibilité du système utilisé… Ces désillusions n’interrompirent pas les projets éditoriaux. Très rapidement, les deux collections s’avérèrent un moyen efficace de concrétiser les ambitions internationales du programme « Ricercar ». Elles permirent aussi de répondre à deux soucis du programme. Le premier consistait, en complément aux dépouillements, de rendre accessible en édition moderne un répertoire négligé ou oublié. Le deuxième s’orientait vers une diffusion des travaux menés lors de colloques, journées d’études ou tables rondes organisés au CESR ou ailleurs. Ainsi en fut-il du XLe colloque d’études humanistes consacré à Johannes Ockeghem dont les actes inaugurèrent la collection « Épitome musical » chez Klincksieck. Les collections d’études et d’éditions occupent une place primordiale dans le programme « Ricercar ». Elles élargissent certes le cercle des collaborateurs internationaux. Elles donnent aussi et surtout l’occasion de s’aventurer dans des projets éditoriaux que ne peuvent plus se permettre aujourd’hui, ou alors tellement rarement, les institutions de recherche. Ces collections sont également une voie de valorisation des travaux réalisés par des chercheurs, membres du CESR ou qui y ont poursuivi leurs études.

Remises en question

Le disque dur s’est enrichi. Plus de 15 000 fiches reposent en son sein. Face à ce chiffre satisfaisant, il ne fut pourtant pas possible d’évacuer les remises en question. Car rien ne semblait se dessiner qui eût pu donner espoir de jouer avec des incipit musicaux, de manipuler des images, de jongler avec des tablatures. D’aucuns proposèrent même de reléguer le projet… ou, plus académiquement, de porter l’attention du programme sur d’autres problématiques. Que faire alors de ces 10 000 incipit patiemment notés ? Que faire des centaines de microfilms, milliers de tirages et autres photocopies ? Les couvrir du sceau universitaire et les enfermer soigneusement dans de belles boîtes à archives ? La machine a eu raison du rêve. Ce fut l’état d’esprit d’une longue période. Seule la ténacité de quelques-uns permit d’inverser le rapport de force. La remise en question ne devait pas toucher au rêve. Elle devait toucher à la procédure. Il apparut très nettement que la collaboration avec les ingénieurs informaticiens était plus virtuelle qu’autre chose. Il apparut également que lier la conception des projets éditoriaux (utilisation d’un programme de gravure musicale) à celui de bases de données ne pouvait déboucher que sur des réconciliations insurmontables. L’ordinateur est plus limité que le concept.
En partant sur ces principes, il fut enfin possible de concevoir des bases de données, d'en imaginer aujourd'hui la consultation et de lancer de nouveaux projets.

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