HISTORIQUE

Pendant les XVe et XVIe siècles, la Croatie était divisée, dans le sens politique, entre les Habsbourg et la Monarchie Hongroise (au nord et en Slavonie), la République de Venise (dans la majeure partie de l’Istrie et de la Dalmatie), l’Empire Ottoman (au sud-est), tandis qu’à l’extrême sud, la République de Dubrovnik conservait son autonomie. La culture de la Renaissance s’est plus fortement développée sur la côte croate, de l’Istrie à Dubrovnik.

Au début du XVe siècle, les idées de l’Humanisme influent sur des changements dans la vie musicale en Croatie. L’intérêt pour la musique franchit les murs des couvents et des églises, et l’influence de nouveaux courants spirituels des villes de l’Europe centrale, surtout celles de l’Italie, grandit. De nouvelles idées dans la théorie de la musique et l’esthétique sont promues par les humanistes et les philosophes (Federik Grisogono, Speculum astronomicum, Venise, 1507; Pavao Skalić, Enciclopediae, seu Orbis disciplinarum, Bâle, 1559; et Francesco Patrizi (Petrić) qui contribue au débat sur la fonction de la musique dans le théâtre grec antique, par de nombreuses discussions, surtout dans son œuvre Della poetica, Ferrare, 1586).

Grâce à l’imprimerie musicale européenne naissante au XVIe siècle, deux imprimeurs d’origine istrienne se distinguent : Jacques Moderne "da Pinguente" (de Buzet), l’un des plus célèbres imprimeurs musicaux français en activité à Lyon et Andrea Antico "da Montona" (de Motovun) en activité à Venise et à Rome. Ce dernier a perfectionné la technique d’impression et contribué au développement de l’édition de partitions musicales en Italie.
C’est au milieu du XVIe siècle que la musique folklorique et populaire est imprimée à l’aide de ces nouvelles techniques. Dans le poème épique Ribanje i ribarsko prigovaranje de 1558, Petar Hektorović donne au chant populaire les idéaux néoplatoniciens et les textes du folklore musical croate sont aussi imprimés dans les anthologies vénitiennes (Giulio Cesare Barbetta, 1569 ; Marco Facoli, 1588).

Les chants populaires ont intégré les cérémonies religieuses pratiquées en langue vernaculaire (le chant glagolique). Bien que la Réforme n’ait pas laissé d’empreinte significative en Croatie, ces chants ont été acceptés et modifiés par les Protestants. Le recueil de poèmes sans notes en deux volumes de Grgur Mekinić Dusevne peszne psalmi de 1609 et 1611 témoigne de cette riche tradition des chants dans les cérémonies religieuses protestantes dans la région de Gradišće. Dans la zone littorale, la pratique de polyphonie vocale sacrée et profane émerge. Les compositeurs croates publient leurs œuvres dans les imprimeries à travers l’Europe plus particulièrement à Venise comme c’est le cas pour les quatre madrigaux à quatre voix d’Andrija Patricij de l’île de Cres, publiés dans le recueil Il primo libro de Vilotte (Venise, 1550) d’Antonio Bargese, premières compositions polyphoniques imprimées de cet auteur. Giulio Schiavetti (Julije Skjavetić) de Šibenik publie également des madrigaux (Li madrigali a quattro, et a cinque voci, 1562), des greghesche, et Motetti a cinque et a sei voci de 1564, riches structures polyphoniques sous l'influence de l'école hollandaise.

La valorisation de la musique à Dubrovnik s'est produite grâce au soutien des membres de la famille franco-flamande Courtoys: Lambert Sr., Henrik et Lambert Jr. Le recueil Madrigali a cinque (Venise, 1580) de Lambert C., Sr., est dédié à un groupe d'aristocrates de Dubrovnik. Ses autres compositions, publiées dans les anthologies de l'époque, témoignent d'un haut niveau de l'interprétation de la musique à Dubrovnik. L'influence de la grande école polyphonique hollandaise, à travers les œuvres de Patricij, Skjavetić et Courtoys Sr., a atteint au XVIe siècle sur la côte croate, sa destination à l'extrême Est.

La musique et la danse faisaient parties intégrantes de l'expression théâtrale à travers les oeuvres de Mavro Vetranović, Nikola Nalješković, Marin Držić, Marin Benetović et plus particulièrement le recueil d'intermèdes d'Osor et Cres, Ghirlande conteste, de Padova 1588. La fonction de la musique et des effets sonores sont sous l'influence des pastorales italiennes. Les philosophes Niccolo Vito di Gozze, Nikola Vitov Gučetić et Miho Monaldi ont offert dans leurs débats, des témoignages sur l'art et la musique, menées dans les cercles cultes de Dubrovnik (Accademia dei Concordi / Akademija Složnih).

Ennio Stipčević