François-Eustache Du Caurroy est baptisé le 4 février 1549 à Gerberoy, ville alors fortifiée, située à vingt-cinq kilomètres environ de Beauvais. En 1567, son père, prévôt et procureur du roi à Beauvais, devient le parrain du fils de Denis de Journy, facteur dorgues de la paroisse Saint-Laurent. Cest peut-être à la cathédrale Saint Pierre de Beauvais, renommée dans le royaume pour la formation quelle offre aux enfants de chœur, que Du Caurroy reçoit une éducation musicale. Sa carrière semble avoir été tout entière consacrée à servir les rois de France – Charles IX, Henri III et Henri IV. En 1575, 1576 et 1583, le compositeur, alors lauréat du puy de musique dEvreux, est décrit dans les registres du concours comme lun des chantres de la chapelle royale. Dans les comptes établis pour cette dernière en 1578, il se trouve désigné comme haute-contre et sous-maître. En 1595, il reçoit le titre de « Compositeur de la musique de la chambre du roi » et porte aussi, en 1599, celui de « compositeur de la musique de la chapelle du roi ». Quelques années plus tard, en 1602, il transforme son poste de haute-contre en poste de taille. Au cours des années 1580, il chante aussi dans la chapelle privée de Catherine de Médicis, mère dHenri III.
Après le sacre dHenri IV (1594), le compositeur multiplie les bénéfices ecclésiastiques. Le 7 août 1609, il meurt à Paris, et est inhumé dans lEglise des Grands Augustins, probablement parce quil faisait partie de la confrérie de Sainte Cécile, établie dans le couvent en 1575, par Henri III. Loué dès son vivant (notamment par La Croix du Maine qui, en 1584, dans sa Bibliothèque, célèbre en Du Caurroy les talents de compositeur et de théoricien), il reçoit après sa mort plusieurs hommages. Théoriciens – Salomon de Caus, Antoine Parran, Antoine Du Cousu, Marin Mersenne – et musiciens – Anibal Gantez, Nicolas Le Vavasseur entre autres – le considèrent comme le digne représentant français des théories développées au siècle précédent par Gioseffo Zarlino.
A lexception de quelques chansons, imprimées dans des anthologies parisiennes et anversoises des années 1580 (Le Roy et Ballard) et 1590 (Pierre Phalèse), la majeure partie de son œuvre est imprimée à partir de 1609: cette année-là, deux livres de motets présentent au total cinquante-trois pièces de trois à neuf voix; lannée suivante, quarante-deux Fantasies instrumentales écrites à trois, quatre, cinq et six voix et les Meslanges (soixante-trois chansons françaises et latines de deux à sept voix) paraissent. A ces œuvres, il convient dajouter quatre messes au moins, éditées probablement vers 1609-1612. Trois dentre elles, pour quatre voix, sont aujourdhui perdues, mais nous connaissons la quatrième, la célèbre Missa pro defunctis à cinq voix (qui ne subsiste aujourdhui que sous deux exemplaires datés de 1636).
Dernier grand compositeur français de la Renaissance, Du Caurroy laisse une œuvre variée, tant par les genres exploitées que par les procédés mis en œuvre. Ainsi, sa messe de Requiem, comme certains textes de ses motets – qui figurent parmi les seuls témoignages de ce genre en France à la fin du XVIe s. – le désignent comme lhéritier direct des compositeurs liés à la couronne de France durant la première moitié du 16e siècle (Brumel, Mouton, Sermisy, voire Certon): en témoignent Alleluya, alleluya o filii (mis en musique avant lui par Prioris et Sermisy). Dans le même temps, il montre à plusieurs reprises dans ses motets quil connaît les œuvres de Josquin et de Willaert, œuvres quil possédait (au moins en partie). Ses motets sont le plus souvent à quatre ou cinq voix, au moment où la plupart des compositeurs écrivent pour cinq ou six voix, tandis quil pratique le double-chœur comme il était dusage à Venise au milieu du 16e siècle. Si son écriture mêle contrepoint en imitation, contrepoint libre et écriture note contre note, elle présente peu de variations deffectif, et cest dans les pièces libres (totalement ou partiellement) de matériau préexistant quil manifeste sa plus grande inventivité. Obéissant aux injonctions des acteurs de la Contre Réforme concernant la bonne prononciation du texte, il est peut-être lui-même à lorigine de la présence daccents sur certaines syllabes des textes latins quil met en musique.
Nombre de ses chansons témoignent aussi de son attachement à la polyphonie traditionnelle: Du Caurroy apprécie en effet les longs développements contrapuntiques (Suzanne un jour), parfois sur un matériau mélodique préexistant, tout comme les canons (Le Seigneur, dés quon nous offense). Cest cette écriture – louée par ses admirateurs – que lon retrouve dans les Fantasies, genre que Du Caurroy semble parmi les premiers compositeurs français à pratiquer avec assiduité: son célèbre cycle pour trois à cinq voix, Une jeune fillette (fantaisies 29 à 33) est là pour en témoigner.
Un tiers de ses Meslanges et un cinquième de ses motets sont composés en musique mesurée à lantique, comme lillustrent lhymne Corporis ex medico ou Chevaliers genereux; cette dernière est composée sur des vers écrits en 1590 par Nicolas Rapin, à loccasion de la victoire dHenri IV à la bataille dIvry (14 mars 1590). Parmi les poètes quil met en musique figurent, outre Nicolas Rapin, Philippe Desportes, poète de cour (Pour vous aymer).
Enfin, limportance de ses noëls dans son œuvre (une quinzaine au moins, de quatre à six voix) en fait lun des premiers compositeurs à sintéresser au genre sous une forme polyphonique. Ce faisant, avec ces pièces, il ouvre la voie à de nombreuses autres œuvres du même type, parmi lesquelles figurent les œuvres de M. A. Charpentier (Noëls sur les instruments, Messe de Minuit) et M. R. de Lalande (Symphonie des noëls).
Marie-Alexis COLIN